Je reçois de temps en temps un MP de demande de conseils quant au fait d’habiter au Japon, de travailler dans le jeu vidéo, et surtout de faire les deux en même temps.
Je me suis donc dit qu’un petit article serait plus pratique pour tout le monde ! :)
Que cela soit clair : cet article représente mon expérience personnelle, ce que j’ai pu voir parmi mes amis et connaissances qui bossent dans le milieu, mais ne sont pas une vérité absolue. Surtout en ce qui concerne le développement, où je reste clairement un junior.
Si vous avez des questions, les commentaires sont là pour ça :)
Comment devenir développeur de jeux vidéo ?
Pour commencer, c’est une mauvaise question. Créer des jeux vidéo, cela veut tout et rien dire, et il y a tellement de carrières différentes dans cette industrie que le nombre de chemins possibles est infini. Si par créer des jeux vidéo vous entendez être en production et, objectivement, créer des éléments d’un jeu vidéo, alors, il y a pour commencer trois grosses possibilités. Être programmeur, designer ou artiste. Je ne vais pas forcément revenir dessus puisque tout le monde sait globalement quels sont ces métiers, mais le choix de programmeur est à mon avis le meilleur aujourd’hui si vous voulez trouver du travail rapidement, puisque l’industrie en manque.
C’est le choix que j’ai fait, personnellement.
Je ne connais pas les autres marchés, mais au Japon, un programmeur de jeu vidéo trouve du travail en moins d’une semaine. Je le dis parce que je l’ai vécu et ai eu l’occasion d’en être témoin de nombreuses fois.
C’est aussi, dans le cas général, celui des trois métiers qui paie le plus. C’est aussi celui où vous aurez les plus grosses heures dans les phases critiques du projet. Mais je reviendrai dessus plus tard.
Concernant les formations, je ne détiens pas de vérité absolue, j’ai personnellement fait une école d’ingénieur informatique classique. J’ai tendance à penser que les écoles de jeu vidéo sont bien pour être designer (et encore, je pense que c’est vraiment un métier qui s’apprend en jouant et sur le tas), mais sans doute moins pour être programmeur.
D’autre part, on ne sait jamais à quoi ressemblera le marché demain, il bouge excessivement vite. Si vous vous verrouillez dans un domaine trop précis trop rapidement, si le marché du jeu vidéo se casse la tête, vous perdrez énormément de valeur. Avec une formation plus versatile, vous pourrez toujours changer d’industrie, vu que les ingénieurs logiciels sont indispensables dans toutes les industries du monde, dans tous les pays. C’est sans doute un des métiers les plus versatiles possibles, et c’est un avantage que je vous conseille de garder via une formation généraliste.
En ce qui concerne les diplômes, je dirais que leur utilité principale est leur nécessité pour obtenir un visa travail à l’étranger. Dans mon cas, pas de diplôme, pas de visa travail, et de nombreuses pays fonctionnent ainsi.
Au-delà des compétences professionnelles pures, je pense qu’une personne ayant une bonne culture du jeu vidéo, des mécanismes, qui s’intéresse au média et à son évolution, sera un bien meilleur candidat qu’une personne qui ne s’y intéresse pas.
C’est indispensable pour les designers, et un gros plus pour un programmeur. Surtout quand un designer explique une mécanique, avoir en face de soit quelqu’un qui joue permet de gagner beaucoup de temps. Donc jouez (à tout, même aux genres que vous n’aimez pas !), lisez la presse.
Enfin, et le plus important, il n’y a aujourd’hui aucune excuse de ne pas être en train de créer des jeux vidéo si vous en avez vraiment l’envie.
Il y a suffisamment d’outils professionnels extrêmement puissants (Unity, Unreal, etc), de formations et d’aide en ligne, de plateformes de distributions (AppStore, Google Play, indies PS4/Xbox One, Steam, etc) pour vous permettre de créer votre jeu. C’est la meilleure des formations, et votre meilleure arme pour trouver un emploi rapidement. Mettre sur votre CV le nom de votre jeu et que la personne qui le lit puisse le télécharger directement, lire les reviews des joueurs sur sa qualité, ce sont de sérieux points de marqués.
Comment travailler au Japon ?
Comme dit précédemment, ayez un diplôme. Si vous n’en avez pas, tout n’est pas perdu mais vous partez avec un sérieux handicap. Vous pouvez arriver ici en working holiday et trouver une entreprise qui sponsorisera votre visa, mais c’est difficile. Vous pouvez aussi avoir un visa mariage. C’est en fait plutôt facile, je connais pas mal de personnes qui l’ont fait, mais personnellement, au-delà de toute considération sur le mariage et ses valeurs, je trouve qu’un visa travail obtenu par soi-même, c’est quand même infiniment plus classe.
Devez-vous parler Japonais ? C’est mieux, mais pas obligatoire. Vous aurez des barrières et des limites si vous ne parlez pas la langue, mais je connais plein de personnes qui parlent peu et mal Japonais et qui travaillent dans le jeu vidéo à Tokyo. Il y a beaucoup de boites étrangères implantées ici où la langue dominante est l’Anglais. Je ne vous ferai pas l’affront de répondre à la question “Dois-je parler Anglais ?”.
Cependant, parler Japonais est un vrai plus, voire une nécessité. Dans ma boite actuelle, qui est une entreprise japonaise, tout est en Japonais à 100%, et quelqu’un ne parlant et n’écrivant pas couramment le Japonais ne pourrait pas y travailler. C’est le cas d’énormément de studios.
La meilleure des réponses que je peux donc vous donner, c’est de commencer à l’apprendre tout de suite. S’il est effectivement ancré dans vos projets d’habiter au Japon un jour, cela vous servira forcément.
S’installer au Japon coûte cher, et pas mal de stress est à prévoir à l’arrivée, avec un déménagement, le visa, l’arrivée dans la nouvelle entreprise … J’ai cependant été très surpris de constater que la communauté française à Tokyo est adorable et aide les nouveaux. Au même titre qu’une fois installé, ce sera à vous d’aider les prochains arrivants. Bref, si vous m’envoyez un MP en me disant “je débarque la semaine prochaine j’ai nulle part où dormir”, peu de chances que je vous refuse, ou la plupart des Francais de Tokyo vous refusent, une cannette de bière et un coin de canapé :)
Être développeur de jeux vidéo au Japon
Que cela soit clair : bosser dans le jeu vidéo c’est très différent d’être joueur. Tout n’est pas rose. Tout n’est pas noir non plus, loin de là, et j’aime mon métier. Mais faire le parallèle entre aimer les jeux vidéo et vouloir faire des jeux vidéo n’est pas aussi évident quand on est de l’autre côté de la barrière. C’est d’autant plus vrai au Japon.
Même si ce sont Final Fantasy et Metal Gear Solid qui ont bercé votre enfance, il y a peu de chances que vous puissiez travailler sur ces IP directement après être arrivé ici. Le Japon est un marché qui a fini sa transition vers le mobile, et il représente une écrasante majorité des emplois que vous trouverez ici.
Si l’idée de travailler sur des Free To Play ne vous fait pas envie, changez de métier, ou de pays.
Sachez cependant que les frontières entre le mobile et la console sont ténues. J’ai déjà eu des offres de studios pour bosser sur PlayStation, et si je reste actuellement sur mobile, c’est par choix.
Ce que je veux dire : si vous ne démordez pas de l’idée de vouloir faire de la console, vous en aurez rapidement la possibilité, même si votre porte d’entrée fut le mobile. Après, est-ce un choix de carrière intéressant ? C’est une autre question.
J’entends tout et n’importe quoi concernant les conditions de travail au Japon. Personnellement, que ce soit à Gameloft ou à Kiteretsu, les conditions de travail sont excellentes, avec des heures flexibles, des bureaux classieux, de bons postes de travail, des coins cafets gratuits pour les employés, une bonne ambiance … Loin de l’univers délétère que certains font croire.
Après, oui, il y a des moments de “crunch”. Je pense que mon “record” personnel est une semaine à 107 heures. Mais cela reste exceptionnel. Le temps normal de travail est entre 40 et 50 heures par semaine. Les heures supplémentaires aux phases critiques des projets sont-elles quelque chose de normal ? Cela me conviendra-t-il dans 15 ans quand j’aurai femme et enfants ? C’est forcément compliqué de répondre par l’affirmative.
Ce que je peux dire cependant, c’est que les nuits à se prendre la tête dans l’équipe autour d’une pizza restent parmi les meilleurs souvenirs que j’ai.
Combien gagne un développeur de jeux au Japon ? Ce que je vais dire est une moyenne. Au Japon, et pas que dans le jeu-vidéo, une partie non négligeable du salaire annuel est donné en primes, souvent au mois d’août et au mois de décembre. Ces primes représentent chacune entre un mois et trois mois de salaire, ce qui compte forcément beaucoup. En général, elles ne concernent que les seishain (CDI) et non pas les keiyakuin (CDD, ce qui très courant dans le jeu vidéo au Japon)
Les heures supplémentaires sont en général non payées, car inclues dans le contrat.
Un designer ou un artiste junior peuvent aller chercher dans les 4/5 millions de yen par an (je vous laisse faire la conversion en euro, sachant qu’en ce moment le yen est très faible, donc pas forcément représentatif du niveau de vie). Un programmeur junior sera davantage dans les 5/6 millions, primes non incluses, ce qui situe la paye bien au-dessus de la France, à catégorie équivalente. Des seniors peuvent parfaitement aller plus haut très rapidement, avec une moyenne a 8/10 millions sans les primes. Certaines grosses entreprises mobiles comme DeNA ou LINE n’hésitent pas donner des salaires à 15 millions (en gros 120 000 euro) à un senior compétent. Après, un bon lead designer ou producer, qui saura donner de l'identité à un jeu, gérer et unifier une équipe, gagnera encore plus qu'un bon programmeur. Mais on parle ici de deux ou trois personnes dans une équipe de 50.
Le jeu vidéo est mieux payé au Japon qu’en France, c’est une certitude. La couverture sociale y est moins bonne mais reste meilleure qu’aux Etats-Unis.
Au-delà du salaire, je pense qu’être développeur étranger au Japon est un plus, surtout si vous parlez bien Japonais. Beaucoup de grosses boites japonaises recrutent des étrangers en ce moment, je ne sais pas combien de temps durera ce momentum, mais c’est en tout cas une opportunité.
Voilà, j’espère avoir un peu débroussaillé les grosses questions. Si jamais vous avez des questions, posez-les moi en commentaires, et je me ferai un plaisir d’y répondre. J’espère que cet article aura été utile :)